Un million de minutes, Wolf Küper

À la fois récit autobiographique et initiatique, Un million de minutes déroule l’histoire de Nina, petite fille « particulière », et de sa famille, sous la plume de son père, Wolf Küper. Témoignage émouvant, réflexion philosophique sur le sens de la vie et, surtout, ode à l’enfance et à la différence, voilà un livre à mettre entre toutes les mains des parents pour leur rappeler que le bonheur, c’est ici et maintenant.
Détenteur d’un doctorat en politiques internationales de l’environnement, expert auprès des Nations unies, Wolf Küper était voué à une carrière brillante, mais forcément très prenante, qui ne lui laissait d’autre choix que de courir perpétuellement après le temps. Or, le temps, justement, sa fille, Nina, semble fâchée avec lui. Selon ses propres mots, elle est « lonte », ce que l’on pourrait définir par « prendre tout le temps dont on a besoin. Autrement dit : un temps infini. ». Et plus elle grandit, plus elle prend son temps : dix-neuf minutes pour manger un mini sandwich, vingt-cinq pour se rendre au supermarché à cent mètres de la maison, quatre pour mettre chaque chaussure (à scratchs). Pour que Wolf prenne la mesure de ce que vit Nina, le neurologue qui la suit du fait de ses « spécificités comportementales et cognitives » lui suggère d’essayer de faire ses lacets avec des baguettes japonaises, un haltère de quinze kilos à chaque poignet. Pourtant Nina fait preuve d’une patience infinie, d’une tolérance à la frustration exceptionnelle pour une fillette de son âge et d’une empathie à toute épreuve.

Le déclic

La course dans laquelle s’est embarqué Wolf s’arrête net lorsqu’un soir, Nina, alors âgée de 4 ans, manifeste son mécontentement face au temps minuté que son père consent à lui accorder et s’exclame : « Ah, papa, j’aimerais avoir un million de minutes avec toi. Rien que pour les jolies choses, tu vois ? ». « Le masque que je portais tout au long des 1440 minutes que duraient mes journées s’est fendillé. […] Et la fissure s’est propagée dans ma vie de tous les jours », écrit Wolf, qui décide alors de prendre Nina au mot. « Avec la lenteur aussi spectaculaire qu’insouciante qui était la sienne en toutes circonstances, Nina m’avait déjà fait prendre conscience que le temps n’appartenait qu’à nous. […] Et si on prenait un million de minutes ? Dès maintenant ? »
C’est ainsi que Wolf et sa femme quittent leur travail et vendent tous leurs biens pour partir en voyage avec Nina et son petit frère, Mister Simon. Pendant deux ans (un million de minutes !), ils explorent la Thaïlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande avant de rentrer à Bonn, en Allemagne. S’ils se retrouvent du jour au lendemain dans un environnement paradisiaque, avec tout le loisir de ne faire que ce qui leur plaît, ce n’en est pas pour autant facile pour les parents qui se retrouvent bien démunis face à cette nouvelle liberté. « Quelles étaient ces « jolies choses » pour lesquelles nous avions tout laissé derrière nous ? », s’interroge Wolf, qui ajoute : « Au départ, je m’étais senti dépassé par les événements. C’est sans doute le genre de choses qui n’arrive qu’aux adultes. […] Au fond il n’est pas étonnant que les adultes souffrent d’un déficit d’inventivité : lorsqu’au quotidien on n’a jamais le temps de rien, pas besoin de beaucoup d’imagination. ». Là, au contraire, il va leur en falloir de l’imagination, pour « occuper » ce million de minutes !
La première étape du cheminement impulsé par ce voyage va consister à renoncer à tous les projets envisagés par Wolf avant le départ pour remplir le temps du voyage : apprendre une nouvelle langue, prendre des cours par correspondance, réfléchir à son avenir professionnel… Là encore, c’est Nina qui provoquera le déclic chez son père et l’aidera à lâcher tout ce à quoi il se raccroche dans l’univers connu de sa vie d’adulte bien remplie : « Sans doute qu’aucun enfant au monde n’a besoin de réfléchir longtemps pour savoir ce que sont les « jolies choses ». Ce sont des experts en la matière. »
Le quotidien se résume alors à ramasser des coquillages sur la plage, construire des châteaux de sable, manger des noix de coco, faire la sieste dans un hamac et passer des soirées à regarder les étoiles autour d’un feu de joie. Ce à quoi nous nous prêtons tous volontiers, sitôt que nous en avons l’occasion, remarque Wolf « Mais c’est beaucoup plus facile à faire quand, par le plus grand des hasards, une poignée d’enfants est de la partie. ». Pourtant, « tous ces « trucs d’enfants » sont fondamentaux, ajoute-t-il, profondément ancrés en nous. » Et de conclure : « C’était comme si des choses ensevelies depuis longtemps au fond de moi donnaient enfin des signes de vie. »
Même si Nina et sa famille finiront par rentrer en Allemagne lorsque le million de minutes sera écoulé, ce voyage aura définitivement changé leur vie, transformé leur regard et renforcé les liens qui les unissaient. En un mot, ils ont trouvé le bonheur en partant à la recherche du temps gagné. Et autant dire que celui-ci est communicatif !

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