Parler de la mort aux enfants
Le cycle de la vie mène inéluctablement à la mort. Les hommes sont désemparés par la mort et cherchent à savoir ce qu’il y a après la vie, dans l’au-delà. Pourtant c’est un sujet qui reste encore très tabou. On n’en parle déjà pas aisément entre adultes alors, lorsqu’il s’agit de l’aborder avec nos enfants, nous sommes particulièrement démunis. À quel moment et comment en parler aux enfants, deux grandes questions que nous allons tenter de démystifier dans cet article.
Il est acquis que les enfants sont des « éponges » et absorbent nos comportements et nos paroles pour les intégrer et ensuite les utiliser le moment venu. Ils absorbent aussi nos émotions. Nos aïeux n’avaient sûrement pas conscience de cela en faisant de la mort quelque chose de secret, dont on ne parle pas. À peine chuchotait-on pour parler d’une personne morte lorsqu’il y avait des enfants. S’ils posaient des questions, on leur répondait que cela ne les concernait pas, que ce sont des affaires d’adultes. Les religions ont des rituels marquant le passage vers l’au-delà, très probablement nécessaires, mais ils restaient souvent l’apanage des adultes, on ne voyait pas d’enfants lors des enterrements. Dès lors cette position a fait de la mort un sujet tabou, ce qui ne fait que soulever des questions, et créer de l’inquiétude, voire de l’angoisse.
Le cycle de la vie
On peut mettre à profit l’observation de la nature pour amorcer une réflexion sur le cycle de la vie. Certaines questions de très jeunes enfants peuvent être des déclencheurs : pourquoi les feuilles tombent à l’automne ? On parle alors de feuilles mortes. Le cycle des saisons avec le renouveau du printemps, puis le déclin de la nature en automne est un support riche. Cette même observation peut mener à s’interroger sur un insecte ou un oiseau trouvé mort, par exemple. Pourquoi il ne bouge plus ? Parce qu’il est mort. Mais ça veut dire quoi être mort ? Ça signifie qu’il ne volera plus, qu’il ne chantera plus. C’est triste certes, mais permettre à l’enfant d’exprimer cette émotion de tristesse, mettre des mots sur ce qu’il ressent va lui permettre aussi de s’approprier peu à peu le cycle de la vie. On peut s’aider de supports : la littérature jeunesse offre pléthore d’albums qui retracent ce cycle.
Certains adultes se remémorent leur incompréhension lors de la disparition d’un animal domestique aimé. Christiane se souvient de la disparition de Myrsa : « Je ne comprenais pas qu’elle ne m’attende pas à mon retour de l’école, ma mère m’a dit alors qu’elle était partie. Partie ? Mais où ? Pourquoi ? J’avais le sentiment d’un abandon, j’en ai pleuré de tristesse, je me sentais trahie. Sûrement que savoir qu’elle était morte, ce que j’ai compris bien plus tard, n’aurait pas enlevé le chagrin, mais je n’aurais pas eu ce sentiment d’abandon et d’incompréhension. »
Pour autant parler de la mort d’un compagnon proche de l’enfant nous paraît bien difficile. Veut-on lui épargner la douleur de la perte ? Pourtant la perte est bien réelle, mettre des mots sur le chagrin éprouvé ne l’adoucit pas mais peut aider à conserver le souvenir et avancer vers le lendemain.
Parler de soi
Lorsque l’on a pu parler de cela avec son enfant, lorsque vient le moment d’aborder la mort d’une personne de son entourage, l’enfant saura déjà ce qui se passe, il aura compris que la personne ne reviendra pas. Or au cours de sa vie d’enfant, il sera forcément un jour ou l’autre confronté à la mort d’une personne, un membre de la famille ou de celle d’un ami, quand ce n’est pas un copain ou un proche.
La difficulté d’en parler peut aussi venir de notre propre chagrin. On a la gorge nouée, les larmes montent facilement, mais la pudeur nous empêcherait-elle de montrer notre chagrin ? Cela revient à parler de nous, de nos propres émotions. Beaucoup ont peur de la mort. La peur a différentes sources, on peut avoir peur de la mort elle-même, peur de souffrir par exemple ou de ce qui nous attend après, mais on peut aussi avoir peur de la mort car on craint d’abandonner nos enfants, de leur infliger une douleur insurmontable, ou encore on peut avoir peur de perdre un enfant, au point d’en devenir parfois trop contrôlant. Selon l’âge de nos enfants, on peut apprendre à parler de nos peurs, à montrer notre chagrin. Nous montrons ainsi que cette émotion est normale, que nous pouvons apprendre à surmonter nos peurs et vivre avec.
Il peut arriver que l’on soit démuni, que l’on ne sache pas quoi répondre, par exemple lors de la mort d’un enfant ou d’un bébé. On peut avoir des « ce n’est pas normal, il est tout petit » ou « c’est un enfant, ce sont les papis et les mamies qui meurent. » Dire alors notre désarroi est la seule chose à faire, dire que oui, ce n’est pas normal, que parfois cela arrive alors qu’on ne pensait pas cela possible.
Parler des rituels
Aborder la mort avec notre enfant, c’est aussi lui parler des différents rituels. Ceux-ci permettent de nous lier avec la personne ou l’être disparu. Mamie est morte mais elle reste ta mamie et elle continue de t’aimer et toi tu l’aimes, c’est normal. On va lui dire au revoir ensemble si tu le souhaites. Ainsi on peut parler des rituels que nous avons en abordant le fait que d’autres ont des rituels différents mais qui ont le même but, dire au revoir à la personne morte et exprimer notre chagrin.
Cela peut amener à une question qui est souvent posée par les enfants : où va-t-il aller ? Chacun avec ses propres croyances répondra comme il le sentira, mais il peut être important avec de très jeunes enfants d’éviter de dire qu’il ne vont nulle part, qu’il n’y a rien après la mort. On peut juste dire que Mamie reste vivante dans nos cœurs par exemple, et qu’on continuera de parler d’elle, qu’on reverra les photos pour se rappeler des beaux moments. Si l’enfant insiste pour savoir où elle sera, où son corps est mis, on peut lui expliquer le processus de décomposition ou crémation à partir d’un certain âge, là aussi la référence à la nature peut aider. Évitons toutefois d’anticiper les explications, celles-ci viendront en temps et en heure quand l’enfant posera la question, il sera alors prêt à en savoir davantage.
Lorsque vient le moment de dire au revoir à une personne chère, il est important de donner le choix à l’enfant de nous accompagner. Non, la vue d’un mort n’est pas traumatisante, c’est de ne pas en parler qui peut l’être ! On peut en revanche lui expliquer ce qu’il verra : Mamie sera comme endormie, mais elle ne se réveillera pas. Et lui laisser la possibilité de changer d’avis jusqu’au bout. Bien évidemment, si l’enfant nous accompagne à la mise en bière, faisons-lui confiance. S’il veut embrasser Mamie, laissons-le faire, et s’il veut ressortir, accompagnons-le. Si l’enfant ne montre pas d’émotion et joue près du cercueil ou du lit, permettons-lui de vivre cet instant à sa façon. Nos réactions brutales ne sont pas bienvenues et peuvent interférer dans sa propre façon de vivre ce moment.
L’après
Après avoir vécu la mort d’une personne proche, il peut être judicieux d’en parler avec lui et surtout de l’écouter, de l’observer, voire de lui poser quelques questions sans devenir envahissant. Il rejouera peut-être avec ses jouets ce moment difficile, l’annonce de la mort, l’au-revoir, etc. On peut alors proposer de jouer avec lui, ou juste parler de ce que l’on ressent. Mamie me manque beaucoup, et toi ? Laissez vos larmes couler, pleurez ensemble. Si le chagrin est là, en parler, l’exprimer, soulage. Cassandra, 6 ans, a dit un jour qu’elle avait un gros chagrin : « les larmes lavent le cœur, ça fait du bien après ».
Certains parents ont pu observer après un décès dans la famille que leur enfant maltraitait des insectes pour voir s’ils mourraient. Il est important alors de réagir et de parler avec lui, d’expliquer combien la vie est précieuse et que personne n’a le droit de la raccourcir sur quelque être vivant que ce soit.
Enfin après le décès d’une personne, des enfants peuvent vouloir prendre les choses en main, lors de la mort d’un animal, par exemple, et faire eux-mêmes leur propre rituel. Accompagnons-les et faisons-leur confiance, respectons le choix qu’ils feront, qu’ils veuillent l’enterrer ou le brûler, chanter ou pleurer.
J’ai un souvenir émouvant à partager avec vous. J’avais environ 12 ans lorsque le frère d’une copine est mort. Le jour de son enterrement, ses amis ont joué du rock devant sa tombe et tous ont dansé, c’était un moment à la fois très triste, émouvant et très beau ! À leur façon ils lui ont dit au revoir et lui ont rendu hommage ! Beaucoup d’anciens ont été choqués et en ont parlé longtemps après. Moi j’avais trouvé cela juste magnifique.
Bonjour. Connaissez-vous le livre jeunesse : « Je suis la mort » parru aux éditions versant sud jeunesse ? Très beau livre superbement illustré pour parler de la mort aux petits.
Merci beaucoup pour cet article ✨
Merci pour cet article et le partage du souvenir émouvant.
Deux petites réserves ou précisions: “on ne voyait pas d’enfants lors des enterrements”, peut-être mais les morts étaient souvent veillés à la maison ce qui est devenu rare et il y avait des dais avec l’initiale du mort sur les portes des maisons.
“la vie est précieuse et que personne n’a le droit de la raccourcir sur quelque être vivant que ce soit” en principe mais si on est pas végétarien et qu’on tue des poux ou des mites (etc.) ce n’est pas rigoureusement exact, et il y a aussi les cas d’euthanasie pour les animaux ou les humains quand c’est légal.
Merci pour ce commentaire Mathilde, en effet les morts étaient veillés à la maison, mais il y avait tout de même un voile, j’ai souvenir dans mon enfance à la campagne que les enfants n’étaient pas forcément bienvenus autour du mort veillé. J’ose espérer que d’autre l’auront vécu différemment. Chez nous, ma belle-mère est morte à la maison entourée des siens et mes enfants étaient là, très jeunes, 5 et 9 ans, c’était un moment à la fois triste et beau.
Et oui merci de rappeler en effet ceci sur le fait d’ôter la vie, la généralisation de cette ligne de conduite n’est pas tout à fait exact, je tue moi-même les moustiques l’été qui viennent s’abreuver de mon sang !