Naître coiffé
Si les bébés naissant coiffés, autrement dit partiellement ou entièrement recouverts de leur sac amniotique, sont plutôt une rareté de nos jours1, il n’en a sans doute pas toujours été de même. Et si cette présentation particulière du nouveau-né a donné naissance à une expression depuis longtemps passée dans le langage courant pour décrire celui qui est chanceux – « il (ou elle) est né.e coiffé.e », dit-on –, nous allons voir qu’il ne s’agit pas uniquement de croyances ou de superstitions ancestrales mais qu’à bien y regarder, c’est peut-être et même sans doute ainsi que la plupart des bébés naîtraient s’il n’y avait pas tant d’interventions autour de l’accouchement.
Naître coiffé, au sens propre, c’est naître avec une partie du sac amniotique sur la tête, voire naître entièrement dedans, sans que celui-ci se soit rompu avant l’expulsion ou au cours de celle-ci. Au sens figuré, c’est être chanceux, réussir tout ce que l’on entreprend. Un heureux présage dont on retrouve des traces dès l’Antiquité où on utilisait les membranes dont certains nouveaux-nés étaient encore entourés ou coiffés comme des porte-bonheur : les sages-femmes les revendaient même à prix d’or aux avocats afin de leur assurer le succès dans leurs plaidoiries2 !
Dans The Birth house3, roman se déroulant avant la Première guerre mondiale en Nouvelle Écosse, un des protagonistes, marin de son état, périt noyé alors que, contrairement à son habitude, il ne porte pas sur lui ce jour-là l’amnios séché qui ne le quitte jamais. Il semblerait en effet qu’à certaines époques et en certains lieux, les gens de mer accordaient beaucoup de valeur à ce qu’ils considéraient comme un talisman censé les protéger de la noyade. Dans de nombreuses cultures, on dit aussi que les bébés nés coiffés sont protégés de la noyade, une croyance qui pourrait venir de la supposition que ceux-ci, restés dans le liquide amniotique même après leur naissance, auraient un rapport particulier avec l’eau et des facilités pour y évoluer tout au long de leur vie sur terre.
Aujourd’hui, il semblerait qu’on attribue plutôt à la rareté de ce genre de naissance l’idée que cela porte chance. Pourtant, comme l’écrit Michel Odent dans son livre L’Humanité survivra-t-elle à la médecine ?4, « quand la naissance n’est pas socialisée, quand il n’y a pas eu de touchers vaginaux pendant la grossesse et le travail, et quand les conditions pour un véritable réflexe d’éjection du fœtus sont réunies, naître coiffé est relativement fréquent. » D’ailleurs, ajoute-t-il, « Nous avons de bonnes raisons de penser que naître coiffé était fréquent avant la socialisation de l’accouchement. » La rareté de ce type de naissance à l’heure actuelle serait donc due à la médicalisation de la naissance et à la tendance à l’interventionnisme pendant l’accouchement.
Récit d’une naissance coiffée
Michel Odent parle d’expérience, ayant accompagné de nombreuses naissances physiologiques. À l’échelle individuelle qui est la mienne, je peux aussi apporter mon témoignage afin de donner corps à cette hypothèse, ayant vécu une naissance coiffée pour mon troisième enfant, naissance et grossesse les moins socialisées – pour reprendre les termes de Michel Odent – des trois. Mon premier enfant est en effet né suite à un déclenchement artificiel du travail, dans une maternité de type hospitalier ; la seconde a vu le jour dans une maternité disposant d’un pôle physiologique, mais avec une sage-femme assez stressée et à tendance interventionniste malgré le balisage effectué en amont à travers un projet de naissance annonçant la couleur sans ambiguité ; pour la troisième, en revanche, j’ai eu la chance de bénéficier de la présence d’une sage-femme à la fois très attentive et très discrète. N’ayant pas subi de touchers vaginaux, pas plus que je n’ai été soumise au monitoring, avec une liberté totale de mouvement et de choix des positions, dans un environnement calme et peu éclairé, propice à ce que je me laisse aller à mes sensations, avec peu de paroles prononcées, enfin, pour ainsi dire pas d’interférences, ce fut une naissance vraiment rapide, précédée de quelques contractions puissantes, absolument irrésistibles, qui ont abouti à un authentique réflexe d’éjection. Je me souviens d’ailleurs uniquement de cette sensation, comme de quelque chose de parfaitement incontrôlable, et qui m’apparaissait en même temps comme une évidence, comme si j’avais été sur Terre uniquement pour vivre et accomplir cela, comme des milliers d’autres femmes avant moi.
Ma fille est née dans sa bulle, elle en est sortie quelques instants plus tard, dans les mains de son père, qui garde depuis ce moment en lui comme une trace indélébile la sensation du liquide chaud s’écoulant entre ses doigts tandis qu’il accueillait notre enfant, juste avant que je m’en saisisse à mon tour pour la nicher tout contre moi et reprendre petit à petit mes esprits.
Si d’autres facteurs ont pu jouer en faveur de cette naissance coiffée, il semble néanmoins que les conditions préalables à l’obtention d’un véritable réflexe d’éjection, non entravé par les nombreuses sollicitations extérieures dont les femmes font souvent les frais au moment de l’accouchement, étaient réunies, ce qui viendrait confirmer l’hypothèse émise par Michel Odent.
Une colonisation microbienne nécessaire ?
Et si, de tous temps, le fait de naître coiffé a été considéré comme de bonne augure et cette particularité comme un gage de protection pour celui qui avait la chance de naître ainsi, ne pourrait-on pas y voir une explication tout à fait rationnelle, au-delà des croyances et des superstitions ou plutôt ayant précédé et induit celles-ci ? Autrement dit, peut-être avons-nous, en toutes époques et dans toutes cultures confondues, simplement constaté que les bébés qui étaient nés coiffés bénéficiaient par la suite d’une meilleure santé, se montraient particulièrement résistants, étaient moins sujets à contracter diverses maladies que les autres ? Pourquoi dès lors s’inquiéter de ce que les bébés, notamment ceux nés par césarienne, soient privés de la colonisation microbienne dont ils bénéficieraient « naturellement » en naissant par voie vaginale ? Car si c’est en effet le cas des bébés naissant par voie basse et dont la poche des eaux s’est rompue avant qu’ils ne traversent le vagin de leur mère, quid de ceux qui naissent par voie basse dans leurs membranes encore intactes ? Ce type de naissance implique que les microbes vaginaux n’ont pas colonisé le corps des nouveau-nés. Quel risque dès lors encourent-ils à ne pas avoir été exposés aux microbes familiers pour leur mère ? Michel Odent souligne ainsi l’ironie de la situation, qui veut que, « dans des sociétés d’une grande diversité, la naissance avec membranes intactes ait été considérée comme la garantie de bonne santé » alors même qu’ « aujourd’hui, il est suggéré qu’en cas de naissance par césarienne un tampon précédemment placé dans le vagin [et dont on badigeonne ensuite la peau et la bouche du bébé] permettrait d’apporter au bébé les microbes dont il a été privé… ». Autrement dit, « n’est-il pas paradoxal que jusqu’à une date récente, naître protégé des microbes vaginaux était de bonne augure, et que soudain la médecine décide de traiter cette situation en tant que privation microbienne ? »
Voilà qui devrait nous inciter à reconsidérer nos pratiques actuelles en matière d’obstétrique, à la lumière de nos connaissances toujours plus précises du fonctionnement du corps humain, mais aussi en tenant compte de la longue expérience de tous ceux qui nous ont précédé et qui ont permis à l’Humanité de survivre.
1 Environ une naissance sur quatre vingt mille (source : « Enmantillado ; Nacer con el saco amniótico intacto. Mito y magia », Diana Vegas, http://www.placentera.com/la-ruta-placentera/enmantillado-nacer-con-el-saco-amnitico-intacto-mito-y-magia).
2 Histoire de naître, De l’enfantement primitif à l’accouchement médicalisé, Fernand Leroy, Éditions De Boeck (2001).
3 Amy McKay, Éditions Harper Perennial (2007).
4 Éditions Myriadis (2016). Toutes les citations qui suivent dans l’article sont issues de cet ouvrage.