Maternité et addictions
Ne pas maîtriser un comportement visant à produire du plaisir ou à écarter une sensation de malaise, et réitérer ce comportement en toute conscience des conséquences négatives, voici ce qui doit alerter sur l’addiction.
N’importe quelle structure mentale peut conduire à des comportements addictifs ; la jeune femme et la mère sont tout autant sujettes à l’addiction que l’homme adulte, l’adolescent, la personne âgée. Sur le plan épidémiologique, on recense plus d’hommes souffrant d’addiction que de femmes (hormis pour les psychotropes).
Les chiffres1 parlent de 12,1 % de femmes consommatrices régulières d’alcool entre 18 et 75 ans, une femme sur vingt étant quotidiennement en difficulté avec l’alcool durant sa grossesse. 6% des femmes entre 18 et 25 ans ont un usage régulier du cannabis, et 1 à 3 % des femmes enceintes seraient consommatrices durant la grossesse. 3,3 % des femmes enceintes âgées de 15 à 44 ans ont consommé de la cocaïne dans le mois précédent ; cet usage est majoritairement concomitant avec celui du tabac et de l’alcool. Quant aux opiacés, ils seraient responsables d’un grand nombre d’avortements spontanés, mais demeurent la consommation la plus difficile à évaluer, les consommatrices étant silencieuses.
Le silence. S’il plane sur toutes les personnes souffrant d’addiction, il devient assourdissant lorsqu’il s’agit des femmes. C’est donc à l’aune de ce tabou qu’il faut lire ces chiffres. Car si l’addiction suscite une stigmatisation très forte pour les hommes, elle dérange viscéralement lorsqu’il s’agit d’une femme ; sortir des comportements addictifs est d’autant plus difficile que le sujet est nié par une forme de sacralité : la femme est victime des représentations.
Certaines addictions semblent connues, comme l’alcoolisme, le tabagisme, la dépendance aux psychotropes ; il existe également des addictions comportementales : jeux vidéo, sexe, achats, troubles alimentaires… La recherche de plaisir semble être le fil commun tiré par les personnes souffrant d’addiction ; on trouve fréquemment, à l’origine du comportement addictif, une forme de frustration menant à la dépression et à la prise de la substance (ou à l’accomplissement de l’acte pour les addictions comportementales). Le cercle se poursuit avec le plaisir et le sentiment de puissance ou de bien-être, suivis rapidement par la disparition de l’effet et le retour à une réalité dont la pénibilité est accrue par l’expérience vécue. La culpabilité suit souvent, et le cycle reprend : dépression, prise, plaisir…
Un combat contre l’alcool
Suivons Stéphanie ; à 36 ans, elle a un parcours d’alcoolo-dépendance et de comportements à risques. Mère quatre fois, Stéphanie a perdu son troisième enfant ; avec un grave retard de croissance, son bébé est décédé dans les dernières semaines de la grossesse. La médecine n’a pas expliqué le retard de croissance, la maman en soupçonne toutefois la cause : « Voilà quelques années la consommation d’alcool pendant la grossesse n’était pas totalement prohibée ; je buvais, depuis des années, quotidiennement ; et durant mes grossesses, je diminuais. Un ou deux verres de vin par jour, parfois trois, ou quatre… Bien sûr, je me suis accusée de l’avoir tuée. Dans le doute, je suis coupable ».
Face à ce drame dont aucun des deux parents ne veut parler avec l’autre, le couple de parents sombre plus encore dans l’alcool et la violence, puis divorce. Après plusieurs années cotonneuses, Stéphanie fait une rencontre ; à cet homme, elle ose dire : « Je suis alcoolique ». « Depuis plusieurs mois j’étais prête à avouer mon addiction ; il m’était toutefois insupportable qu’une tierce personne m’en fasse la réflexion. Ce que j’admettais de moi-même, personne d’autre n’avait le droit de le dire ; plus j’avais honte, plus je buvais ; j’étais terrorisée à l’idée que ma dépendance soit visible ».
Le conjoint rencontre l’addictologue qui suit Stéphanie depuis quelques mois ; de son côté, grâce au Selincro2, elle parvient à réduire sa consommation. Le couple décide de faire un enfant. Pour Stéphanie, cela signifie l’abstinence. « J’étais partagée entre l’espoir et une angoisse qui m’empêchait de respirer à l’idée de l’abstinence ; mon corps et mon cerveau débarrassés de l’alcool en début de grossesse, j’ai eu toute la place pour les prises de conscience douloureuses. Cette grossesse fut éprouvante. J’ai trouvé la force de me confronter à mes angoisses ; de regarder les photos de ma fille, d’y chercher les stigmates de la dysmorphie liée au syndrome d’alcoolisation fœtale ».
Aujourd’hui, leur bébé a 8 mois, et Stéphanie est abstinente depuis plus de 500 jours, qu’elle compte avec soin : « Chaque jour est une victoire ».
L’accompagnement
« La première étape est d’oser en parler au professionnel qui s’occupe de vous pendant ou en dehors de votre grossesse. Il est important de prendre en charge le couple dans la globalité, d’intégrer le conjoint dans la prise en charge, de déculpabiliser et d’être à l’écoute », explique Fanny, sage-femme. En l’absence d’un conjoint, il est capital que la maman soit accompagnée par ses proches dans sa grossesse et sa démarche de diminution des risques. Margot, éducatrice spécialisée en addictologie, raconte qu’elle reçoit parfois les proches de personnes souffrant d’addiction. Elle les accompagne, les écoute, les informe. Le personnel médical et social, s’il est informé des difficultés de la maman, se montrera attentif lors de la grossesse et après la naissance de l’enfant.
Le sujet de l’addiction et de la maternité n’étant pas facilement évoqué, les préjugés sont nombreux : si les mères craignent d’être jugées, elles craignent également qu’on leur martèle que l’abstinence est l’unique perspective à une issue douloureuse ou dramatique. Les CSAPA (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) sont des lieux d’accompagnement psycho-social gratuits fondés sur le non-jugement, l’accueil, la confidentialité, la réduction des risques et des dommages, mais ne prônant pas l’abstinence. Ils mettent à disposition une équipe pluridisciplinaire permettant un soutien psychologique, médical et social.
Margot nous explique que son premier principe de prise en charge est de lutter contre les préjugés. Elle cite l’exemple de la consommation d’héroïne, « diabolisée » : de nombreuses mamans n’osent pas se rendre en consultation de peur de se voir proposer des substituts dont elles craignent qu’ils soient toxiques pour l’enfant. Or la substitution durant la grossesse diminue la mortalité maternelle et fœtale et permet un meilleur suivi médical et obstétrical ; de surcroît le volume sanguin augmentant avec la grossesse, les posologies sont modifiées : le suivi médical est donc capital. Les syndromes de sevrage du nouveau-né seront d’autant mieux accompagnés que l’équipe médicale sera informée.
Courage et amour
Quelle que soit la dépendance dont souffre une femme, la grossesse peut être un bon moment pour aborder l’addiction. Nous savons aujourd’hui que devenir mère ne signifie en rien devenir parfaite ; au contraire nous naissons mère riches de notre passé et de nos expériences. Si des comportements addictifs peuvent résulter de nos cheminements, ils ne nous privent pas du droit de porter la vie. Face à une forme d’obscurantisme pugnace, faisant de la mère une icône quasi religieuse, la connaissance de la réalité de l’addiction peut seule venir à bout des tabous et des préjugés ; lutter contre la stigmatisation par la compréhension, c’est offrir aux parents souffrant de dépendance une porte vers la sortie de l’isolement et de l’auto jugement.
Car on ne choisit pas de souffrir, et il est profondément humain de chercher à soulager une douleur, à ressentir du plaisir, lorsqu’on est perdue, épuisée, seule ou affaiblie. Parler de volonté face à un comportement addictif n’a aucun sens. Toutefois on peut parler de courage : celui de verbaliser, celui d’appeler au secours, celui de tendre la main. Car c’est bel et bien faire preuve de courage et d’amour.
Qui contacter ?Le site Drogues-info-service répertorie organismes et associations pouvant venir en aide quelle que soit la dépendance rencontrée. Vous pouvez joindre Drogues info service au 0 800 23 13 13, de 8 h à 2 h, 7 jours sur 7. Votre appel est anonyme et gratuit. www.drogues-info-service.fr |
1 Sources : OFDT 2005 – Expertise Inserm – Baromètre santé – National Survey on Drug Use and Health, 2002 SAMSHA 2003
2 Médicament qui aide au sevrage alcoolique.