Lettre à moi-même
À toi, qui veux toujours tout gérer, tout le temps. À toi, qui veux faire les choses vite (mais bien), pour pouvoir te reposer ensuite, mais qui ne fais qu’ajouter de nouvelles tâches dans le déroulé de ta journée et ne te poses jamais. À toi, qui longtemps, aux yeux des autres, as incarné la mère parfaite, celle qui ne s’énerve jamais, qui est d’une patience dingue, et n’oses pas montrer tes failles par peur de décevoir les autres mais surtout de te décevoir toi-même.
Faut se l’avouer, hein, la mère parfaite, elle n’existe pas. La mère qui fait de son mieux, qui apprend chaque jour, qui progresse, qui avance pas à pas, oui. On a beau se le répéter, c’est pas facile à avaler, qu’on a « raté » des choses et qu’on en ratera d’autres. Dur de rester philosophe, d’être dans le juste milieu, car entre le « de toute façon j’fais d’mon mieux donc pas de raison de s’prendre la tête » et la parano pleine de remords « oh mon dieu s’il fait une colère pareille c’est que j’ai raté un truc quand il était bébé et maintenant il va le porter toute sa vie», il y a quand même un monde. Et ça, tu le sais, tu le sais très bien, mais il faut bien l’avouer, il y a une grosse part de toi qui n’arrive pas du tout à prendre ses distances.
Mais bon, parfois la vie te force à lâcher. Quand tu es épuisée, que la carapace craque, que tu es avec une copine et que tu la laisses voir ton impatience, ta fatigue, ton ras-le-bol d’être sollicitée tout le temps. Quand tu vois qu’en fait, c’est pas si mal, de montrer que ça ne va pas, parce que derrière tu reçois de l’écoute, de l’attention, du soutien. Et le soutien, tu le dis tout le temps, c’est essentiel. Alors pourquoi tu es la plupart du temps incapable d’en demander ? Pourquoi tu veux toujours gérer toute seule, en mode « j’suis pas une petite chose fragile » ?
Tu dis toujours que tu as choisi ta vie. Tes trois enfants, ton maternage, tes allaitements non-raccourcis, l’instruction en famille, tes divers travaux, rémunérés ou pas, tes journées dynamiques car tu as besoin que ça bouge, bref tu as un rythme assez prenant, c’est le moins qu’on puisse dire. Tu dis toujours que cette vie, tu l’aimes. Et c’est vrai, carrément. Tu adores ta vie. Pour rien au monde tu ne reviendrais à une vie plus « conventionnelle ». Quand on te dit « Je ne sais pas comment tu fais, tu es tellement courageuse », tu réponds toujours que tu n’as pas d’efforts à faire puisque tu vis selon tes convictions, et que quand on suit ses valeurs et que l’on choisit réellement sa vie, les choses se font toutes seules. Même si c’est parfois très fatiguant. Mais ce n’est pas parce que tu as choisi ta vie que tu ne peux pas être épuisée moralement parfois. Tu as le droit d’en avoir marre. Tu le répètes sans arrêt aux autres mamans, alors ce serait bien que tu te l’autorises.
On t’a dit un jour : « On a compris que tu savais tout faire, maintenant, laisse entrer la douceur dans ta vie ». Alors dans l’idée, tu es carrément pour. Et en théorie c’est pas trop compliqué. Remplir moins ses journées, prendre du temps pour se poser. Mais c’est sans compter la bambine qui se précipite sur toi pour téter dès qu’elle te voit assise. Du coup, quand t’as cinq minutes de tranquillité et que tu veux bouquiner, tu le fais debout. Alors oui après tu peux te poser tranquille et lire pendant qu’elle tète… Mais une petite de 2 ans qui tète c’est pas la tétée tranquille du bébé de 2 mois, loin de là… Parfois oui, mais bon, c’est un peu la loterie. Oui, tu en as un peu marre de cette image d’Épinal de l’allaitement qui n’est qu’un moment de douceur et de partage. Oui, une tétée ça peut être un moment de fusion extraordinaire, et tu adores ces moments. Mais parfois la tétée c’est chiant, voilà. Quand tu te fais grimper dessus et tirer sur le t-shirt pour la dixième fois de la journée et que tu te fais tirailler un mamelon pendant qu’on te tripote l’autre, c’est chiant.
En fait, il faut se l’avouer, tu as oublié ce que c’est que se poser tranquillement pour se détendre sans être sollicitée. Car même quand tu en as l’occasion tu n’y arrives pas, probablement par peur d’être interrompue mais aussi car tu n’arrives plus à te déconnecter.
Heureusement
Heureusement, il y a les copines. Leur écoute, leurs blagues, leurs câlins, leurs conseils, leurs encouragements. Heureusement, il y a les week-ends, où ton compagnon peut prendre le relais avec les enfants et où tu peux sortir avec une amie et avoir une conversation autour d’un thé ou d’un chocolat chaud sans être interrompue. Heureusement, il y a l’écriture, qui t’aide à envisager ton quotidien, ton maternage, avec une distance qui te permet de regarder les choses autrement qu’avec tes émotions. Heureusement, il y a ces moments où tu te dis que ta vie est cool, quand même, et qu’elle est ce que tu voulais qu’elle soit, que tu es vraiment là où tu voulais être. Heureusement, il y a tes enfants, qui te disent si souvent que tu es « la meilleure des mamans du monde ». Bon, toi tu sais que ce n’est pas vrai mais peut-être que tu es la meilleure des mamans qu’ils pouvaient avoir, eux. Peut-être que tu es la maman qui leur correspond le mieux. Peut-être. Tu l’espères en tout cas. Dans tous les cas, tu ne penses pas qu’il y ait une meilleure maman. Tu n’en connais pas en tout cas. Par contre, tu connais plein de supers mamans. Qui, comme toi, ont des failles. Mais ça ne les empêche en rien d’être des mères formidables pour leurs enfants. Et si tu es capable de reconnaître ça pour elles, tu peux aussi le reconnaître pour toi, non ?
Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On lâche les vieux schémas ? On commence à se la couler plus douce ? On fait diminuer la pression ? Parce que c’est carrément le moment. Je ne sais pas où nous en serons quand cet article paraîtra, mais aujourd’hui, nous sommes début mai 2020 et en plein confinement. Ce qui suit ne fait pas rêver. Il semblerait que le « monde d’après » soit sacrément chaotique pendant quelque temps. Alors comme beaucoup de monde, tu ressens la nécessité de te recentrer. De revoir ce qui est important, ce qui l’est moins. D’aller à l’essentiel. Tu vois ce à quoi tu t’accroches, ce qui te nourrit. Ce qui te manque, aussi. Et tu révises tes priorités. Priorité numéro un : prendre du plaisir. Priorité numéro deux : prendre du plaisir. Priorité numéro trois : prendre du plaisir. Où ? Partout. Avec qui ? Avec toi-même, avec ton amoureux, avec tes enfants, avec tes ami(e)s. Comment ? En faisant des câlins, en cuisinant, en savourant, en jardinant, en papotant, en rigolant, en jouant, en dessinant, en te promenant, en te reposant, en lisant, en chantant, en dansant, et même en travaillant, oui oui. Et ce qui serait vraiment trop classe, c’est que tu tiennes une journée entière sans mettre fin à un moment agréable parce que t’as des trucs à faire. Un vrai défi… Mais je sais que tu peux le faire ! Allez, comme dirait ta petite dernière de 2 ans : « Trois, deux, un… C’est partiiiiiiiii ! »
Bravo!!!!