La cuisine, un plaisir partagé : rencontre avec Amandine Geers

La préparation des repas est un incontournable dans notre quotidien. Pour les parents, cela relève parfois du casse-tête, tant par rapport au temps que cela prend qu’à la nécessité de satisfaire les goûts de chacun tout en respectant l’équilibre alimentaire. Alors, pourquoi ne pas envisager cette activité comme un moment de partage en famille ? Amandine Geers, auteure de nombreux livres de cuisine1 dont nous avons déjà publié les recettes dans Grandir Autrement, nous livre ses astuces pour aborder cette étape sereinement et vivre ce moment de partage avec plaisir.
Grandir Autrement : Quels conseils donnerais-tu aux parents qui ne savent pas comment s’y prendre pour impliquer leurs enfants dans la préparation des repas tout en faisant en sorte que chacun y prenne du plaisir ?
Il me semble important de commencer très tôt à impliquer l’enfant dans la préparation des repas. Ça peut être des choses très simples, selon la motivation de l’enfant et son âge. Cela peut même commencer au moment où on fait les courses, et même dès qu’on établit la liste des courses. Au moment de la conception des menus pour la semaine, par exemple, on peut impliquer l’enfant en lui demandant ce qu’il aurait envie de manger. Au moment de la préparation, on peut lui demander ce qu’il a envie de faire. Selon son âge, ça peut être sortir les légumes du frigo, les nettoyer, les couper. Cela me paraît important, pour la notion de plaisir, que la préparation des repas ne soit pas considérée comme une tâche à réaliser. Et évidemment il faut que nous-même, en tant que parent, on soit attiré par cette tâche et qu’on la prenne du bon côté et pas comme une corvée.
Dans ton livre, Recettes saines & gourmandes pour enfants récalcitrants2, tu proposes d’aider les enfants à exprimer leurs goûts et dégoûts en les incitant à décrire ce qu’ils perçoivent des saveurs, textures, parfums lorsqu’ils mangent. C’est aussi quelque chose qu’on peut envisager de faire dès l’étape de la préparation du repas.
Oui, parce que cela passe vraiment par le dialogue : choisir les menus, parler de la saisonnalité… Il y a aussi une forme d’éducation qui passe par la cuisine. La cuisine, ce n’est pas juste manger, c’est aussi partager et découvrir des tas de choses qui font partie de notre vie. Exprimer ses goûts, ses dégoûts, mettre les bons mots de vocabulaire sur les textures, les saveurs, ça participe justement de cet échange autour de la nourriture. On peut ne pas aimer un légume sous une forme et l’apprécier sous une autre, on peut ne pas l’aimer cuit mais l’aimer cru, on peut ne pas l’aimer râpé mais l’aimer coupé en bâtonnets, etc. C’est aussi à nous d’être dans cette ouverture-là avec nos enfants. Exprimer ce qu’on ressent quand on mange, c’est comme un jeu, c’est rigolo, et ça permet de mieux respecter les goûts des autres. Parce qu’il n’y a pas que les enfants qui ont des problèmes de dégoûts avec la nourriture, en général les parents en ont aussi ! Donc le parent qui n’aime pas quelque chose peut aussi l’exprimer et trouver des solutions pour mieux apprécier ce qu’il n’aime pas ou une autre façon de le préparer. Et, a contrario, il me semble tout aussi important de donner les choses à manger telles qu’elles sont préparées pour toute la famille, sans avoir d’a priori (du type « non, ça tu ne vas pas aimer parce que ça pique », etc.).
Tu le disais, la cuisine offre de multiples possibilités d’acquérir des compétences, de développer les apprentissages, et ce dans des domaines variés. C’est une mine d’or pour les enfants et aussi une formidable occasion de développer leur autonomie !
La première chose que la cuisine apprend, c’est à vivre ensemble. Avant même de parler des connaissances, des apprentissages ou des compétences, le moment de la préparation du repas, c’est vraiment un moment de partage. C’est passer du temps ensemble, prendre le temps de se raconter sa journée, d’échanger, installer une jolie table pour passer un moment agréable en famille. Et puis après, en effet, on peut parler de tellement de choses par rapport à la nourriture : de la façon dont poussent et sont produits les légumes, d’où ils viennent, est-ce que c’est un produit exotique ou local, à quelle saison il pousse, ce qu’il apporte au corps, etc. Et puis on peut aussi parler des pays, donc faire de la géographie, faire des mathématiques évidemment, donc oui, la nourriture est un bon support pour parler de plein de choses qui intéressent les enfants.
Le développement du goût à travers l’allaitement, puis le choix de la DME3 participent déjà au libre-arbitre et à l’autonomie de l’enfant en matière d’alimentation.
Bien sûr ! Un enfant ne naît pas récalcitrant. Il le devient. Parce que ses parents ou ce qu’il a observé autour de lui ont fait qu’il est devenu difficile. Si on l’implique dans la préparation des repas, qu’on lui fait manger des choses variées, qu’on n’a pas de tabou ni d’a priori, il y a peu de chances qu’il devienne récalcitrant. Quand l’enfant est libre de manger ce qui le tente dès le moment de la diversification, ça lui donne la chance de pouvoir s’ouvrir à tout. En pratiquant la DME, on évite les a priori, on fait confiance à l’enfant et lui se sent capable de choisir, comprend qu’il a le droit de le faire. Cela facilite l’apprentissage des goûts, des textures et de l’autonomie. La cuisine est une source de plaisir, et de plaisir partagé. Donc si les parents voient les choses de cette façon-là, ils vont le transmettre à leur enfant. Si on râle parce qu’on n’a pas eu le temps de faire les courses, qu’on ne sait pas ce qu’on va faire à manger ce soir, on le transmet aussi.
Si tu devais donner quelques trucs et astuces pour rendre les repas et leur préparation plus amusants et inciter les enfants à s’y intéresser, quels seraient-ils ?
Déjà je pense qu’il faut aller vers plus de simplicité parce que ça peut être assez facilement chronophage et stressant pour les parents. Souvent c’est aussi parce qu’on met la barre trop haut donc on peut commencer par choisir des plats qui demandent peu de préparation. On peut faire des petits pique-niques, des préparations très simples, comme couper plein de légumes en bâtonnets et préparer une petite sauce avec du yaourt. Ça me semble important aussi de s’attacher au côté esthétique, en choisissant au moins trois couleurs dans les légumes, les fruits et les produits qu’on va consommer, en y intégrant de la variété, que ce soit dans les types d’aliments ou dans les couleurs, et en installant une jolie table. On peut aussi favoriser l’autonomie de l’enfant en le laissant se servir, ainsi on l’implique dans ce qu’il pense qu’il va pouvoir manger.
Quand l’enfant veut se lancer tout seul dans la préparation du repas, il me semble important de l’encourager et de le féliciter, même si ce n’est pas exactement comme ça qu’on aurait fait soi-même. Et puis on peut quand même être présent s’il en a besoin. Mais, plutôt que de dire « non, ce n’est pas comme ça qu’on fouette les œufs », on peut dire « si tu as besoin d’aide, je suis là, n’hésite pas à me demander si tu as besoin de quelque chose ».
Tu animes régulièrement des ateliers de cuisine4. Y en a-t-il plus particulièrement à destination des familles ?
Non, pas spécifiquement, mais il arrive que des parents viennent avec leur enfant. Je ne fais pas d’ateliers spécifiques, il n’y a pas de thématique particulière, il suffit de venir cuisiner ensemble. J’ai déjà fait des ateliers pour les enfants, mais c’est difficile à organiser, par rapport à la durée, au lieu, au prix, parce qu’il faut que ça reste abordable pour les familles, quels que soient les revenus des parents et que ce soit ouvert à tous les enfants. En attendant, les enfants sont les bienvenus à mes ateliers ! ◆


1 La majorité publiés aux éditions Terre vivante, dont le dernier en date paru en septembre 2018 : Complètement tartes !
Recettes saines & gourmandes pour enfants récalcitrants, Amandine Geers & Olivier Degorce, Éditions Terre vivante (2017).
3 Diversification menée par l’enfant.
http://whats-for-dinner.info

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