L’adoption, un long chemin vers l’enfant
L’une des premières choses qui vient à l’esprit lorsque l’on parle de l’adoption est la longueur des procédures et démarches. Du désir d’enfant à l’arrivée d’un enfant adopté dans sa famille, le chemin est en effet bien souvent long quoiqu’il n’y ait pas de durée exacte prévisible à l’avance. Qu’est-ce qui fait que les démarches sont longues et comment les futurs parents vivent-ils cette attente ?
Il convient tout d’abord de regarder à partir de quel moment on fait démarrer le compte du temps avant l’arrivée d’un enfant adopté dans sa famille. Quand un parent dit qu’il a attendu son enfant pendant X années, compte-t-il à partir du moment où il a désiré son enfant, à partir du moment où il a choisi d’adopter, ou encore à partir de celui où il a entamé les démarches ? Bien entendu, selon la réponse à cette première question, la durée va varier énormément. Ainsi, Corinne nous confie : « Il aura fallu dix-huit ans pour que notre famille soit au complet ». Cela n’est pas le temps qu’a demandé l’adoption de ses deux enfants, mais recouvre toute la période entre le moment où elle et son conjoint ont décidé de fonder une famille, jusqu’au moment où, enfin, leurs deux enfants étaient dans leur foyer. Le temps exprimé par les parents jusqu’à l’arrivée de leur(s) enfants(s) en dit long sur l’attente et le chemin qui les a réunis. De plus, le temps mesurable et concret ne suffit pas à décrire l’attente qu’une famille va ressentir.
Choisir d’adopter, faire le deuil de l’enfant biologique
Avant de se lancer dans les démarches pour adopter, la majorité des couples ont le désir de fonder une famille et commencent par essayer d’avoir un bébé « naturellement ». Lorsque le temps passe et qu’aucune grossesse ne survient ou n’aboutit, débutent les consultations médicales spécialisées et bien souvent des essais de PMA (procréation médicalement assistée). Les traitements sont parfois lourds et longs eux aussi, et les futurs parents se trouvent confrontés à de l’attente et parfois des échecs répétés. Ainsi pour Marie : « L’enfer c’était les échecs à l’hôpital. Après une insémination par spermatozoïdes d’un donneur, nous avons vécu une fausse couche et une descente aux enfers. ». De même lorsque Stéphanie se remémore son parcours d’adoption, elle précise : « J’ai beaucoup plus galéré pendant les périodes de FIV qui ont précédé : périodes de doutes, de déception, d’humeurs en dents de scie et de haine des femmes enceintes ! ». L’adoption est une autre manière de devenir parents. Décider d’adopter implique un cheminement. Lorsqu’une famille a déjà des enfants et souhaite adopter un autre enfant, le temps pour arriver à cette décision n’est généralement pas vécu de la même manière. La réflexion se fait un peu comme en arrière-plan de la vie familiale et, même si elle peut durer longtemps, elle n’est pas nécessairement perçue comme telle car elle est intégrée au quotidien et arrive au moment où la famille y est prête.
Non pas une attente mais des attentes
Une fois prise la décision d’adopter arrive le temps des démarches : l’obtention de l’agrément tout d’abord. Cette démarche prend neuf mois, la seule garantie de durée maîtrisée puisque le département où la demande est effectuée doit rendre sa décision dans ce délai. Mais une fois l’agrément obtenu, l’attente n’est pas terminée, ni les démarches, loin de là. À partir de là, les futurs parents peuvent se concentrer sur l’adoption en France, ou se tourner vers l’étranger, soit en individuel, soit par l’intermédiaire d’une association agréée (OAA pour Organisme autorisé pour l’adoption). Trouver le pays d’origine de l’enfant ou l’association qui correspond aux souhaits des parents est une étape qui peut s’avérer longue et compliquée. Il faut en effet réussir à concilier les souhaits des futurs parents, leurs caractéristiques (âge, mariés ou non…) et les critères du pays ou de l’association. Comme on peut le lire sur le site d’Enfance et Famille d’Adoption1 : « D’autres encore se sentent mis à l’écart, parce qu’ils n’ont pas l’âge, pas la situation de famille, pas la religion, pas le niveau de vie que tel ou tel interlocuteur a choisi comme critère pour sélectionner des parents pour les enfants qu’il confie en adoption. Dans ce cas, la situation ressemble à celle de toute candidature (par exemple, dans le cadre d’une recherche d’emploi), même si l’enjeu est d’une autre ampleur : il y a simplement un choix, avec un élu et d’autres qui attendent. » Pour Marie, l’obtention de l’agrément n’a pas été une difficulté, elle se souvient avoir rencontré des gens très bienveillants, mais ensuite il a été difficile de trouver une association. Puis vient l’attente de l’attribution et de l’arrivée de l’enfant.
Le plus long dans tout ça ?
Avec le recul, les parents racontent que les années d’attente sont vite oubliées quand leur enfant arrive dans leurs bras. Ainsi Marie raconte : « Le plus long je pense est l’attente du coup de fil de la responsable de l’association qui t’annonce que tu as un enfant ! Après c’est le temps des procédures obligatoires où tu te dis que CHAQUE jour qui passe te rapproche de ton gamin. Pour jouer avec ce temps tu imagines des trucs : par exemple, je m’étais dit que je ne me coupais pas les cheveux avant l’arrivée de mon troisième enfant… J’avais les cheveux au milieu du dos pour aller chercher Paul… ! » De même Nathalie précise, après quatre ans d’attente pour sa fille aînée : « Lorsqu’on rencontre l’enfant on oublie ces moments de détresse. ». Les parents témoignent également que l’attente paraît moins longue lorsqu’ils attendent leur deuxième enfant ou plus, car ils sont déjà avec un ou plusieurs enfants et donc moins focalisés sur cet enfant à arriver qui fera d’eux une famille. Ainsi Nathalie se souvient : « Avec notre fille à la maison l’attente était plus raisonnable. Le temps de la préparer à l’arrivée de son petit frère. Nous avions fait un calendrier avec la photo de notre fils et après l’histoire du soir, on cochait le jour. » Et ce qui paraît le plus long n’est pas ce qui l’est « objectivement ». Plus on s’approche de l’arrivée de l’enfant et plus les contre-temps peuvent être difficiles à vivre. Ainsi pour Stéphanie : « Je crois que le plus long à supporter étaient les treize heures de retard de l’avion… Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai eu le plus peur. Peur qu’il n’arrive pas, peur qu’il manque un papier ou autre et qu’il reste à Djibouti. » Dans le même ordre d’idée Nathalie témoigne que « ce qui a été le plus difficile pour nous ce sont les deux faux départs. La regarder tous les jours sur une petite photo précieuse et ne pouvoir la prendre a été une épreuve très douloureuse. ».
Parents du jour au lendemain
Paradoxalement, alors que de nombreuses phases sont longues dans la procédure d’adoption, une fois l’enfant arrivé, les parents le sont du jour au lendemain. De plus, pour les parents qui accueillent un enfant pupille de l’État français, le coup de fil de l’ASE2 ne précède l’accueil de l’enfant que de quelques jours. Cela peut être également très déstabilisant, comme l’impression que d’un seul coup la vie bascule. On s’habitue aux lenteurs et du jour au lendemain l’enfant est là, presque sans transition ! Cet enfant tant espéré, rêvé, va devenir du jour au lendemain un enfant en chair et en os. Le temps de la grossesse n’est pas là pour laisser à tous l’espace de réaliser progressivement, et puis l’enfant qui arrive n’est pas tout juste né, il a un vécu plus ou moins long, plus ou moins difficile, plus ou moins connu aussi. Après le temps des espérances et de l’idéalisation (normale) de l’enfant à venir et de la famille qui sera ainsi formée, vient celui de la confrontation à la réalité. Si le suivi post-adoption existe, il consiste plus en une évaluation de l’intégration et de la santé de l’enfant qu’en un accompagnement dans l’apprivoisement mutuel. Pour s’y préparer autant que possible, les rencontres via diverses associations avec des parents adoptants peuvent aider. Se créer un cercle de personnes à la fois discrètes et aidantes pour les premiers temps, comme on peut le faire en prévision d’une naissance, est aussi une idée qui peut s’avérer très soutenante. Savoir qui appeler en cas de coup de blues, de doutes, de questions, avoir quelques personnes ressources dont on sait qu’elles sauront écouter sans juger ni trop conseiller, redonner confiance en étant simplement là.
Et pour les enfants ?
Comment les enfants vivent-ils de leur côté l’attente de leurs parents ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question, d’une part parce qu’il n’existe pas une seule réponse, et d’autre part parce que les enfants qui sont adoptés petits n’ont généralement pas de souvenirs conscients de cette période. Pour autant nous savons aujourd’hui que les enfants comprennent ce qu’on leur explique de la situation même lorsqu’ils sont très jeunes. Pour cette raison, les professionnels qui s’occupent des enfants recueillis en vue d’une adoption sont aujourd’hui attentifs et verbalisent aux enfants que des parents les attendent. En tant que bénévole à l’étranger auprès de bébés en attente d’une adoption, je me souviens d’une petite fille âgée d’à peine 1 an, le matin de son départ prévu, à qui nous avons appris, ainsi qu’aux quatre autres enfants qui devaient rencontrer leurs parents ce jour-là, que le vol était retardé et que ses parents ne seraient là que le lendemain. Elle s’est alors mise à pleurer. Le lendemain, elle a, au contraire, applaudi et ri lorsque nous lui avons dit que ses parents arrivaient bien aujourd’hui, ne laissant pas planer de doute sur la raison de ses pleurs de la veille, et laissant les adultes autour assez bluffés qu’elle soit en mesure de si bien comprendre la situation. La préparation des enfants est donc bien une question primordiale, si tant est qu’il y ait encore besoin de le préciser ! Cependant l’attente n’est probablement pas vécue de la même façon du fait que le bébé ou le bambin ne se projettent pas dans l’avenir en l’imaginant, ils vivent l’instant présent et ne comptent pas les jours ou les semaines qui les séparent de la rencontre avec leurs parents. Lorsqu’il s’agit d’enfants plus vieux, l’attente peut en revanche paraître longue, d’autant que l’attente de l’enfant peut précéder de plusieurs mois le moment où il sera effectivement adoptable. Cette période est également synonyme d’idéalisation de la famille, et il est important que les adultes qui veillent sur ces enfants en attendant leur adoption les préparent à une vraie rencontre avec de « vrais » parents. L’imaginaire collectif du pays d’origine sur celui d’accueil peut avoir un impact important lors de l’arrivée de l’enfant dans sa famille : on lui a promis une famille riche, une grande maison, un beau jardin et il arrive dans un appartement en ville… Au-delà du temps nécessaire à l’adoption, l’arrivée de l’enfant dans sa famille n’est que le début d’un processus d’attachement qui prendra, lui aussi, du temps à s’épanouir.
1 https://www.adoptionefa.org/ladoption/questions-generales/comment-adopter/ EFA : Enfance et Familles d’Adoption est une fédération de 92 associations départementales regroupant près de 6000 familles adoptives et adoptés majeurs.
2 ASE : Aide Sociale à l’Enfance.