Il parle en pleurant, il se plaint pour tout et rien
Il y a des enfants qui font toutes sortes de demandes en pleurant.
Nous avons même du mal à comprendre leurs paroles. Quel défi pénible que celui de se retrouver à décrypter des mots en plus d’accueillir un état émotionnel impossible à déceler au premier abord.
Pourquoi un enfant parle-t-il en pleurant ou en gémissant ? Ses mots sont coupés par de petites toux forcées accompagnées de froncements de sourcils, de poings serrés, de bras tendus. Il/elle tape le sol avec ses pieds. Il/elle se met dans un état de tension, d’impatience voire de colère. Ou bien de relâchement, de nervosité, en laissant tomber sa tête sur le côté ou en avant et ses épaules vers le bas, comme si tout était perdu pour lui/elle.
Cela ressemble à ce que ce qu’Albert J. Bernstein définit, dans le cas des adultes, comme l’« explosion émotionnelle ». Dans son analyse il signale que les personnes sujettes aux explosions émotionnelles réagissent à ce qu’elles imaginent « qu’il pourrait se produire, et non à ce qui se produit en réalité. Cette réaction exagérée s’apparente au départ à un réflexe de protection1 ».
D’évidence, nous parlons ici d’enfants dont l’acquisition de la parole n’est pas un critère qui entrave leurs interactions avec d’autres personnes.
Quand la tentative d’empathie échoue
Nous pouvons imaginer ce qui pousse un enfant à utiliser les lamentations comme mode de communication. C’est épuisant pour lui et pour son interlocuteur. L’image est celle d’un enfant qui implore, avec un ton fortement plaintif, quelque chose qui pourrait se résoudre sans conflit. « Mais ! Je veux que tu restes là et que tu me chantes la chanson de la tortue qu’on a vue au théâtre ! », dit Gabin, 6 ans, en pleurant. C’est une demande légitime pour Gabin car il aimerait certainement écouter cette chanson qui lui a bien plu. Sans le ton plaintif et les pleurs, sa mère dirait : « Oui, avec plaisir, tu as bien aimé la chanson de la tortue », et puis, tous les deux chanteraient en souriant. Cependant, sa maman en a assez des gémissements. Son agacement l’oblige à répondre par la négative : « Je veux bien te chanter la chanson mon loulou, mais alors, quand tu me le demandes de cette manière, je n’ai plus envie de la chanter ! » Un « mais alors » de trop, et voilà un échec de rapprochement.
Quel désespoir lorsque les tentatives d’empathie échouent. Un enfant qui essaye de communiquer un désarroi profond, qui se sert de ses moyens pour le faire, et un adulte prêt, à la base, à l’écouter, à entreprendre une action de réconfort : l’un pleure, l’autre perd vite sa motivation pour faire preuve d’empathie.
Mais pourquoi donc rouspète-t-il/elle autant ?
Nous pouvons citer plusieurs raisons possibles qui incitent un enfant à adopter une attitude de malheur face à des situations dites anodines (ou pas) : un état de stress, une otite mal soignée, le besoin de contact physique, d’attachement. Si l’enfant n’a pas les mots pour exprimer ce besoin, il se sent encore plus en insécurité. Tout individu en manque de sécurité, qui cherche du réconfort, serait bien parti pour pleurer lorsqu’il est trop tard pour répondre à son besoin.
Voici encore d’autres raisons possibles : l’habitude du refus de la part du parent qui mettrait l’enfant en situation de rejet, ce qui provoque un état de désespoir provoquant de grosses larmes, ce qui laisse à penser « Je suis écouté.e seulement quand je pleure », la faim ou un régime alimentaire inadapté, la soif, la fatigue, un trop-plein d’émotions refoulées, la sur-stimulation, une confusion et un mélange de sentiments, d’émotions et de sensations.
C’est le moment de répondre à un appel au secours ! Indépendamment des multiples raisons logiques et légitimes qui poussent un enfant à se plaindre, répondre à sa demande sans très bien comprendre ce qu’il/elle dit est une tâche ardue. C’est d’autant plus insupportable qu’a priori, « tout va bien dans sa vie » (disons-nous, adultes) et que, malgré tout, l’enfant gémit, râle, pleure.
Dans la limite de notre tolérance
Doit-on couper court ou au contraire doit-on accueillir ces réactions avec une double dose d’empathie ? Que faire quand nous ne sommes pas en capacité de faire preuve d’empathie ? Ou bien quand nous avons l’impression de l’avoir fait, mais que ce n’était pas le cas ?
Des parents2 se plaignent parfois d’une surenchère d’empathie, ils pensent que quand l’enfant se voit autorisé à exprimer ses sentiments, une « fâcheuse habitude » s’installe. Or l’empathie n’est pas une baguette magique qui va faire que l’enfant s’arrête de pleurer, l’empathie permet une ouverture émotionnelle, elle ne limite pas. C’est même parfois le contraire, l’enfant a besoin de cette acceptation pour se décharger.
Il n’y a pas de réponse attendue, figée ou définitive. Faire preuve d’empathie, oui, bien sûr, mais la difficulté est d’avoir à accueillir un sentiment à plusieurs reprises et finir par s’auto-protéger de ce qui n’est toujours pas clair. « C’est fatigant », disent les adultes.
Élise, 5 ans, pleure à chaque fois qu’elle demande à sa mère de lui lire une histoire. Elle pleure aussi quand elle arrive à la maison et qu’elle demande de l’aide pour enlever son manteau. Elle pleure encore quand elle demande à regarder un dessin animé. Elle pleure aussi juste à l’instant où elle sort du bain, elle se plaint en criant d’avoir froid, d’avoir laissé son jouet dans la baignoire et de ne pas avoir envie qu’on brosse ses cheveux. Cette situation est devenue un calvaire pour ses parents au point de l’avoir emmenée chez le médecin et chez le psychologue pour voir si elle ne souffrait pas d’une sorte de dépression. Ce qui cacherait peut-être une maladie ou un traumatisme. Cependant, le diagnostic ne révèle qu’une minuscule croûte au coude qui « ne fait plus mal », dit Élise.
Attention aux étiquettes !
Tout de même, malgré la fréquence de la situation, une mise en garde s’impose. Élise est maintenant cataloguée comme « pleurnicharde »3. Au lieu de décréter qu’Élise est définitivement une pleurnicharde, il serait plus utile de lui faire voir combien sa compagnie peut être agréable. Repérer les instants de joie, lorsqu’elle communique sans pleurs : « Élise, hier, j’ai eu beaucoup de plaisir à faire des crêpes avec toi, on a pu se parler calmement et c’était amusant quand tu nommais avec des têtes rigolotes chaque ingrédient qu’on rajoutait ».
Un code de communication incroyablement complexe et évident à la fois
Nous disons souvent « je connais mon enfant » et moins souvent nous voyons à quel point un enfant connait son ou ses parent(s). C’est par la qualité des interactions quotidiennes que l’enfant adopte des codes et apprend à repérer ce qui fonctionne pour lui. Les pleurs et les gémissements seraient-ils un code qui permet un tête à tête à tout moment, une façon de satisfaire le besoin d’attention ? En regardant de près le comportement de ses parents lorsqu’Élise s’adresse à eux, « Attends chérie… » serait-elle l’une des phrases les plus courantes qui sort de leur bouche ? Aimez-vous attendre pour être écouté.e ?
Comment faire pour sortir de cette situation ?
Et si nous proposions à l’enfant, dans un moment de calme, de canaliser et de montrer par une expression créative ce qu’il ou elle essaye de nous dire en pleurant ? D’autres idées ? Et si c’était l’enfant qui les proposait ?
La dynamique de résolution de problèmes aide à trouver des pistes convenables pour tous4 tout en clarifiant ce qui pose problème : la manière d’exprimer un sentiment et non le sentiment lui-même.
1 Ces gens qui explosent de colère, de peur ou de tristesse, Garder son sang-froid en toutes circonstances, Albert J. Bernstein, Éditions Pocket (2012), p. 37-38.
2 Des participants aux ateliers Faber et Mazlish.
3 Voir l’article « Je m’appelle maladroit : Comment éviter de coller des étiquettes à nos enfants ? », Grandir Autrement n° 40.
4 Voir l’article « La résolution de problèmes, un espace de dialogue pour tous », Grandir Autrement n° 63.
Pour aller plus loin :
Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, Adele Faber et Elaine Mazlish, Aux éditions du Phare (2012).