Doucement, pas lentement !

« Doucement ! Doucement ! Calme-toi ! On a le temps. Cool ! Je suis encore ensuquée, moi. » Voilà ce que j’entends, le matin, de la part de ma fille qui, avant de partir pour le collège, noue ses lacets à la vitesse d’une bicyclette à l’ascension du mont Ventoux un jour de mistral, alors que moi, je lui dis « Magne-toi ! ».

Une de mes filles est née dans le Sud de la France où « le temps dure longtemps». L’autre, que je connais peu, a vu le jour en Caroline du Sud, aux États-Unis où « le temps, c’est de l’argent. »

Moi, je viens des couloirs de Paname où, dans les rames du métro, on peut lire sur les portes à hauteur d’enfant, les paroles d’un lapin : «Attention, ne mets pas tes doigts sur la porte ! Tu risques de te faire pincer très fort. ». Ce léporidé a-t-il été dessiné pour être à l’image des lièvres qui courent matins et soirs sur des tapis roulants bordés de murs de céramique entrecoupés d’affiches publicitaires défilant au point de s’animer quand on crapahute ?

Le temps dure longtemps

Depuis que je suis plein Sud, la vie s’est ralentie. Ici, on apprend que « rien ne sert de courir, il faut partir à point», mais trop de boulot fait bobo. Au début, j’ai été un peu surpris par le rythme. Dans une boulangerie, il y avait deux clients dans la file devant moi. À Paris, cela aurait été rapide comme.«bonjour». Ici, c’est : «Bonjour! Alors, comment allez-vous aujourd’hui ? » Avant que je ne puisse commander, les personnes devant moi avaient des tas de trucs à raconter avec moult détails. Cela m’a semblé long comme un jour sans pain, interminable telle la queue alambiquée du Marsupilami. C’est ainsi ici, le temps dure longtemps.
Cela s’entend même dans la langue. On ne dit pas « ‘tain ! la p’lsouz, pour en avoir en juin, c’est la misère» mais: «Putaaaing, la peulouse, pour en avoir au mois de juin, oublieuh! Tout comme les peneus neige en hivereuh, oublieuh, hein, Parigot! » On dirait du Azeunavoureuh.
Ici, on prend le temps qui passe comme il vient, au rythme de la mer Méditerranée un jour sans tramontane ni marin. D’abord, avec mes temps qui courent, cela a été un peu compliqué, je l’avoue. Je paniquais presque dans les temps morts; dorénavant, j’apprends à les faire vivre pour qu’ils soient forts.

Prendre le temps pour ne pas le perdre

L’été dernier, je suis allé à Washington DC voir ma seconde fille et sa mère. Nous avons visité au pas de course les édifices de la capitale. Tout défilait. L’œil n’avait pas le temps de s’habituer, des « hurry up » perçaient l’oreille. Tout défilait, comme les affiches dans le métropolitain. Finalement, le seul souvenir que j’en ai, ce sont des images floues. L’unique moment de répit fut quand nous vîmes un canard sur le point de claquer dans the Reflecting Pool ; là, nous nous sommes arrêtés. Sinon, nous avons mangé Fast food, sur le pouce, debout ou à bord d’un énorme SUV avalant les miles. Bref, the American express way of life.
Ici, même si ma fille aime les fast-foods, nous y allons peu. Nous préférons regarder passer les sushis boats qui voguent en rond, nonchalamment, le long du comptoir, et harponner de temps en temps du thon, du saumon ou une carpe qui dit « Aime ! ». Dans le centre-ville, les rues sont piétonnes, celles commerçantes bondées le week-end, on y piétine. Nous préférons donc passer en pente douce par les ruelles désertes, s’arrêter devant une plaque commémorative, s’interroger sur les mascarons criant ou essayer de dévisager les gargouilles grimaçantes. Ici, le temps dure longtemps ; même sur la terrasse ombragée d’un bistrot où l’on sirote, tranquille. À la plage, après la paillote, nous nous baladons au bord de l’eau, ramassons des coquillages, nous baignons, brassons de la mer, faisons l’étoile les yeux rivés au ciel. Et, quand on sort de l’eau, on ne s’essuie pas, on sèche.
Ma fille et moi, quand nous sommes ensemble, nous essayons de prendre le temps pour ne pas le perdre. Nous farnientons, procrastinons; les lendemains, parfois, désenchantent. Avec elle, le présent est un cadeau, offert doucement. Au fond, pour être en forme, peu importe le temps, pourvu que je partage son espace.

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