Allaiter, c’est la liberté !

Les revendications à allaiter un enfant dans divers lieux et diverses situations se multiplient dans notre pays depuis plusieurs mois. Les mères allaitantes publient des pétitions sur les réseaux sociaux, organisent des nurse-in, se réunissent pour mettre en lumière leur liberté à allaiter lorsqu’elles considèrent que celle-ci n’est pas respectée et que leur choix de materner leur enfant est bafoué. Alors oui, allaiter est une liberté et on peut affirmer qu’allaiter revêt même plusieurs libertés … Nous verrons d’ailleurs qu’allaiter, c’est LA liberté.
Allaiter son enfant, c’est la garantie du « tout-prêt-tout-chaud-tout-doux». C’est le ni trop, ni pas assez. C’est cette liberté de ne pas s’encombrer la tête à calculer le nombre de biberons à prévoir, à stériliser, la boîte de lait artificiel à acheter, à adapter, les doses à mesurer, à contrôler, à cadencer, l’eau à acheter, à conserver au frais et la température du lait à régler… sans oublier le lourd sac à traîner pour contenir le tout ! Comme le souligne Alice, maman de Naëlle : « Grâce à l’allaitement, nous voyageons léger de corps et d’esprit ». Allaiter revient alors à se défaire des contraintes liées à la nutrition de son enfant mais également à s’éloigner de la société de consommation1 et de la solution mercantile, à être indépendant du système économique. Joël Martine2 écrit à ce propos : « L’enjeu socio-économique de l’allaitement est l’indépendance des femmes, notamment des pauvres vis-à-vis des firmes qui vendent le lait en poudre. Son enjeu sanitaire est un meilleur apport nutritionnel et immunitaire pour l’enfant ». Voilà comment lier l’utile à l’agréable : des économies pour le porte-monnaie et le bien-être de l’enfant est assuré !
En parallèle à ces économies, allaiter c’est accomplir un geste éco-bio-logique3. En effet, l’allaitement permet de nourrir son enfant de la manière la plus naturelle qu’il soit sans la nécessité d’acheter et donc de consommer. Ainsi, allaiter c’est respecter l’environnement, « c’est éviter les pollutions liées aux boîtes et contenants divers, à la nécessité de disposer de vaches en surnombre, de surfaces agricoles supplémentaires ; c’est se passer d’abreuver celles-ci de produits chimiques, médicamenteux ou pesticides divers ; c’est économiser l’énergie nécessaire pour tirer le lait des bovidés, le transformer, le conditionner et le transporter », comme le précise Martine Herzog-Evans4. Allaiter, c’est la liberté de ne pas obéir à un mode d’utilisation réglementé qui enrichit certaines grandes industries.

Couvrez ce sein que je ne saurais voir !5

La possibilité qu’offre l’allaitement de pouvoir agir sans contrainte permet de sortir ou de partir à l’improviste ou bien de rentrer plus tard que prévu. C’est le privilège d’aller comme on veut et où on veut avec son bébé sans être retenu par des impératifs nourriciers. Alexandra, maman de trois enfants allaités, s’amuse à claironner qu’elle est « libre d’aller où [elle veut] avec le minimum à emporter : maman + bébé + écharpe + couche ». Par définition, l’allaitement permet de nourrir son enfant partout où il en a besoin : que l’on soit allongée, assise, adossée, de la plage au musée en passant par un dîner entre amis, un repas de famille ou bien lors d’une promenade en forêt ou même au commissariat ou au sénat ! Chaque maman allaitante peut garder une vie sociale et vivre sa vie de femme et de mère comme elle l’entend sans se préoccuper du matériel à prendre ni de l’installation à prévoir. Quant à celles qui souhaitent reprendre une activité professionnelle : travailler et allaiter, c’est possible. Chacune pourra ajuster sa lactation selon son rythme, ses nuances et ses pauses. Les possibilités sont donc nombreuses avec l’allaitement, il reste à bien comprendre le fonctionnement des seins pour maintenir le tempo de la danse lactée avec bébé.

Des choix éducatifs

Allaiter permet de répondre aux besoins de l’enfant en toutes circonstances et en tous lieux, c’est donner le meilleur sans se poser de questions matérielles ni craindre le regard des autres. Cela nécessite de regarder son enfant, d’interagir avec lui, d’apprendre à le découvrir et à comprendre ses demandes sans avoir recours à un expert (souvent masculin) pour dicter la marche à suivre. Émilie, maman de trois enfants, précise que « l’allaitement est le moyen d’être libre de ses choix, de s’occuper de son bébé comme on le sent et de retrouver son instinct maternel en général ». C’est le maternage qui s’exprime par l’allaitement et son corollaire, les choix éducatifs associés. Le nombre de tétées illimité, l’accompagnement dans le sommeil diurne et nocturne, le portage, les liens d’amour et de confiance qui s’épanouissent jour après jour sont des trésors de liberté pour satisfaire la faim, la soif, le besoin de tendresse, d’écoute, d’empathie, de bienveillance de l’enfant. Allaiter, c’est la liberté d’affirmer ses choix. Le bébé allaité est lui-même libre de téter pour les raisons qui lui sont propres et, à travers cette liberté, c’est sa personne qui est respectée dans ses besoins spécifiques. Nul besoin de contrôler la fréquence des repas ni leur contenu. Notons alors avec quel détachement les bébés allaités peuvent choisir entre la tétée et un aliment solide. C’est alors la maman qui est rassurée de savoir le ventre de son enfant bien rempli même s’il n’a pas touché un seul morceau de ce qui lui était proposé !

Empowerment

Allaiter, c’est revendiquer ses choix et la valeur de ce geste à disposer de ses seins dans leur rôle nourricier. Flore écrit6 : « En allaitant mon fils partout […], j’ai posé un choix militant : je suis sortie des schémas bien calibrés prévus pour moi et les autres filles de ma génération. Je n’en ai fait qu’à ma tête, j’ai fait confiance à mon corps et j’ai suivi mon cœur ». Une mère qui allaite est une femme libre qui retrouve ou découvre son corps avec empowerment. Bon nombre de femmes reconnaissent avec quelle puissance l’allaitement leur a ouvert les portes de la féminité, celles de la beauté de leur corps, celles de l’accomplissement de soi, celles de la réparation d’un corps parfois rejeté à l’adolescence, celles de la confiance en soi sans oublier toutes les femmes qui ont vécu la fierté d’avoir nourri leur enfant grâce à leurs seins. La Grande Tétée organisée à Paris en 2011 avait pour thème : « allaiter et être femme en toute liberté ». Cette manifestation qui réunit des mères allaitantes en un seul et même lieu avait pour but d’affirmer que « l’allaitement maternel est compatible avec la sexualité, la séduction, la réussite professionnelle, la réussite maternelle, la vie sociale [et qu’]être une femme qui allaite c’est être une femme dotée de sa conception féminine et féministe7 ». Allaiter est un acte militant pour la cause des femmes, c’est ainsi que le définissait Mary-Ann Cahill8 : « Même si nous ne le réalisions pas à l’époque, nous étions les précurseurs du mouvement de “libération de la femme”, dans la mesure où il était pour nous capital d’avoir le contrôle sur les décisions importantes de notre vie, comme la façon d’accoucher ou de nourrir les bébés ».
Allaiter, c’est la liberté de vivre à l’unisson avec son enfant une belle et grande aventure, d’affirmer ses choix, de militer et de montrer que l’allaitement rend les femmes heureuses et libres : hauts les coeurs et vive la Libertétée9 !

[…]Je vous souhaite des tétées de liberté,sous la couette, dans le vent, sous l’imper,dans l’écharpe, ou sur la plage…et vous souhaite d’en profiter !
Je vous souhaite d’accueillir la vie, et de la faire grandir au creux de votre sein
Je vous souhaite de prolonger le lien,de neuf mois encore, ou plus encore
Je vous souhaite des moments magiques
Je vous souhaite des émotions indéfinissables
Je vous souhaite de connaître l’amour
Je vous souhaite d’allaiter et d’ainsi vous transcender
Je vous souhaite de résister au qu’en-dira-t-on
Je vous souhaite de n’en faire qu’à votre tête
Je te souhaite des tétées en tête à tête autant que tu le souhaites !
Inspiré d’un texte de Jacques BREL.
Céline BouguerraExposition « Allaiter en liberté » de LLL Pays de Redon


1 Voir l’article « Les gadgets de l’allaitement, vraiment nécessaires ? » du hors série 12.
2 Extrait de son article « Enfantement, allaitement, féminisme », août 2002. https://www.millebabords.org/IMG/pdf/enfantement_allaitement_feminisme-2.pdf
3 https://www.lllfrance.org/vous-informer/actualites/1759-allaiter-geste-ecologique
4 Citée dans Cent mots pour les bébés d’aujourd’hui, Patrick Ben Soussan, Éditions 1001 bébés (2009).
5 Tartuffe de Molière, acte III scène 2.
6 Allaiter Aujourd’hui n° 111, « Allaitement et féminisme ».
7 http://www.grandetetee.com/la-grande-tetee-2011 
8 L’une des fondatrices de La Leche League, extrait du livre d’entretiens Seven voices, one dream, Éditions La Leche League International (2001).
9 Néologisme de Marie-Céline, maman de mon groupe LLL.
 

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